A Venise, Jean-Claude Trichet ne marchait pas sur les eaux mais sur des œ oeufs. Le président de la Banque centrale européenne, qui tenait l'un de ses conseils délocalisés dans la cité italienne, s'inquiète du dollar. Il s'est félicité de la prise de position du secrétaire américain au Trésor, Tim Geithner, en faveur d'un dollar fort, mais il sait parfaitement que c'est une antienne. La réalité est toute différente. Depuis mars, le billet vert a perdu 15 % face à l'euro. L'affaiblissement de la devise américaine est bien sûr une protection contre l'inflation, mais l'inflation n'est plus, ou pas encore, le problème. C'est aussi une menace sur la reprise européenne qui devrait être d'abord tirée, à en croire le patron de la BCE, par les exportations. Une menace forte pour trois raisons. D'abord, l'euro est pour l'instant le seul ou presque à porter le poids de l'ajustement monétaire en cours. Ensuite, le risque d'une chute libre qui propulserait la monnaie européenne à des altitudes inconnues _1,80, voire 2 dollars _ plane sur des marchés très volatiles. Enfin, les pays d'Asie, eux, préservent leur compétitivité monétaire alors que le long règne du dollar tire à sa fin. Nous allons vers un monde monétaire inconnu. S'il a existé, au XIXe siècle, un « équilibre des puissances » politiques, il n'y a jamais eu dans l'histoire un équilibre des puissances monétaires.