Bonjour,
Il y a peu, lors de notre voyage en Israël avec Sylvain du Boullay, nous avons rencontré cet homme de 70 ans, bédouin d'origine égyptienne, débordant de générosité, nommé Ibrahim Abou El-Hawa. Nous avons diné deux fois chez lui et goûté à sa fabuleuse hospitalité.
D'après lui: « La clé de la richesse, c'est de donner ; si nous n'avons pas la paix en nous, comment espérer la faire partager à d'autres ? »
Nous ne sommes pas séparés.
Dans un monde dirigé par le coeur, ce que je donne est donné à moi-même, et donc je le reçois.
Avec Amour
Avi
Son ample keffieh à damier rouge et blanc, sa longue tunique et ses mocassins immaculés, témoignent qu'Ibrahim Abou El-Hawa soigne son apparence : son personnage est une partie non négligeable de son message. Pour juger de son hospitalité, il faut lui rendre visite au petit déjeuner, lorsque quelques-uns de ses hôtes de la nuit s'attablent devant le houmous, les salades, le pain pita et le thé.
Dans le quartier aux ruelles grimpantes d'A-Tur, il habite une bâtisse construite par un lointain aïeul, il y a deux cent cinquante ans. L'adresse est bien connue des routards et des innombrables adeptes de la cause de la paix, qu'ils soient juifs, chrétiens ou musulmans. Ils sont militants politiques, croyants ou mystiques, crédules ou franchement illuminés, à l'image de Jérusalem, qui génère tous les caractères et tous les mythes.
Dans la maison d'Ibrahim, l'étranger de passage est nourri, abreuvé et logé gratuitement, parce que l'hospitalité bédouine traditionnelle le commande, mais il va de soi - c'est discrètement rappelé - que les donations aideront à "maintenir cette maison ouverte pour de futurs visiteurs". Ibrahim Abou El-Hawa est respecté par les représentants des trois religions monothéistes. On en douterait qu'il a vite fait de vous faire l'exégèse des photos, souvenirs et témoignages qui décorent l'entrée de sa maison.
En témoigne aussi cette conférence oecuménique qui s'est tenue en décembre 2010 à Jérusalem. Il y avait là, autour du maire, Nir Barkat, le patriarche latin Mgr Fouad Twal, le grand rabbin du Kotel (mur des Lamentations), Shmuel Rabinovitch, le patriarche de l'Eglise orthodoxe, sa Béatitude Théophile III, et... Ibrahim Abou El-Hawa. "J'étais le seul Arabe présent", souligne-t-il fièrement.
Ibrahim se bat en Israël et en parcourant le monde, pour jeter des ponts de compréhension et, rêve-t-il, d'amour, entre juifs et musulmans. "Le mur entre nous, insiste-t-il, est plus solide que le mur de séparation, parce que nous ne regardons pas notre voisin." Il en est convaincu, ce dernier "ne sera pas plus intangible que le mur de Berlin". Ibrahim a des vérités simples, pleines de bon sens, propres à susciter des adeptes.
"La clé de la richesse, énonce-t-il, c'est de donner ; si nous n'avons pas la paix en nous, comment espérer la faire partager à d'autres ?"
Ce petit homme de 69 ans a longtemps été mécanicien, avant de se consacrer au Graal de la paix. Il connaît le dalaï-lama, Richard Gere, Jimmy Carter, Ravi Shankar et bien d'autres personnages célèbres ; il a séjourné au Temple d'or d'Amritsar, en Inde, s'est rendu vingt-six fois aux Etats-Unis, a parcouru l'Argentine, la Corée du Sud, le Japon et bien d'autres lieux.
Avec des rabbins juifs, des prêtres chrétiens, des responsables druzes et bahaïs, il est devenu apôtre de la non-violence, un choix qu'il n'est pas toujours facile d'assumer pour un Palestinien confronté à l'occupation israélienne. Son "partenaire" pour la paix est le rabbin Menahem Froman, un autre original, à la fois contesté et respecté, qui enseigne à Tekoah, une colonie située entre Bethléem et Hébron.
Fondateur du Goush Emounim (le "bloc de la foi"), ce mouvement de colons créé en 1974, il prône le dialogue interreligieux, un cheminement qui l'a amené à devenir proche de Yasser Arafat et à visiter dans sa prison Cheikh Ahmed Yassine, le fondateur du Hamas exécuté par Israël en 2004. Le rabbin Froman et Ibrahim Abou El-Hawa ont mené de concert nombre d'actions pour la paix, comme la distribution de corans dans des villages dont la mosquée avait été brûlée par des colons extrémistes.
Ensemble, ils militent dans des mouvements qui prônent la coexistence pacifique entre religions, comme Jerusalem Peacemakers, The Abrahamic Reunion, Reconciliation ou Eretz Shalom, mais aussi des rassemblements plus incertains et charismatiques, tels Jerusalem Hug ("l'étreinte de Jérusalem") ou les Vigiles pour la paix. Parallèlement, Ibrahim Abou El-Hawa mène un autre combat, celui du sol et du droit des Palestiniens à vivre sur leur terre. Comme la plupart des habitants de Jérusalem-Est, il a agrandi sa maison sans permis de construire. Il s'est donc vu infliger une amende de 2,5 millions de shekels (environ 493 000 euros), qu'il n'a pas l'intention de payer.
C'est pour cela que, le 11 septembre, il retournera au tribunal, sans illusions. Ibrahim ne demandera pas de passe-droit à Nir Barkat, pour ne pas "trahir son peuple". Le maire, interrogé par Le Monde, ne tarit pas d'éloges sur un représentant"respecté et apprécié de la communauté arabe de Jérusalem". Ibrahim, lui, pense que M. Barkat est un "très chic type", tout en reconnaissant que sa politique participe de la judaïsation systématique de la Ville sainte.
C'est ainsi qu'est Ibrahim Abou El-Hawa : un Bédouin paradoxal et inclassable, qui parle de paix sur le mont des Oliviers.